Souliers vernis, esthètes et touristes

 Promenade seul, en famille, en groupes ou en amoureux, à pied, à vélo — classique ou VTT — ou à cheval, jogging, pêche à la ligne, mouvements de jeunesse… le tourisme en forêt de Soignes a pris des formes multiples. Depuis quand et pourquoi ?

 Des touristes huppés jusqu’au XIXe siècle

 Pendant des siècles, la forêt n’est sillonnée que par les bûcherons, fabricants de balais, charbonniers, scieurs de long… qui en vivent et par les veneurs fournissant en gibier la Cour de Brabant. Y ayant le monopole de la chasse, celle-ci y organise des chasses à courre, visant au sport et au spectacle plutôt qu’au remplissage du garde-manger princier.

 A partir de 16e siècle, quelques promeneurs aisés — nobles et bourgeois ayant de nombreux loisirs — déambulent à l’occasion, généralement sans s’éloigner des lisières car la forêt est alors perçue comme un lieu hostile, dont témoignent les contes de notre enfance.

 La démocratisation du tourisme forestier

 Après les troubles révolutionnaires de 1789 à 1830, les promeneurs huppés réapparaissent — en particulier à Boitsfort — mais la chasse s’étiole en cavalcades bouffonnes de plus en plus rares à mesure que la densité des promeneurs augmente. Elle est à présent interdite.

 Dès 1850 environ, la forêt apparaît comme le contre-poison du développement industriel et de la vie urbaine de plus en plus trépidante. Les premiers à s’aventurer au cœur de Soignes sont des peintres (Hippolyte Boulenger, Jean Degreef…) — équipés comme des explorateurs — dont les points d’attache sont Tervuren puis Rouge-Cloître.

 L’essor des loisirs et des moyens de transport met sur leurs traces trois catégories de promeneurs : ceux qui ne cherchent que la détente, le public très spécifique des hippodromes de Boitsfort (1875) et de Groenendaal (1888) pour lequel la forêt n’est qu’un décor devant lequel on se met en valeur, des « souliers vernis » ironisent les intellectuels et artistes formant la troisième catégorie.

 Voyant dans la forêt l’incarnation d’une Nature quasi divinisée, ceux-ci se mobilisent pour obliger l’Administration des Eaux et Forêts à modifier le mode d’exploitation de la forêt, jusque là fondé sur des coupes à blanc couvrant des dizaines d’hectares. La dernière a lieu en 1907.

 

 

Inauguration du Mémorial de la Source du Sylvain (René Stevens) le 19 juillet 1936

 

Deux ans plus tard, ces esthètes emmenés par le peintre René Stevens fondent la Ligue des Amis de la Forêt de Soignes, la plus ancienne association de défense de l’environnement encore en vie. Elle a depuis lors réorienté ses activités face aux nouveaux dangers menaçant cette forêt devenue grâce au tourisme si chère au cœur des Bruxellois : la pression automobile et le réchauffement climatique.