Facéties des noms de lieux

Quoique fondés sur les lois de la phonétique, les résultats des recherches toponymiques sont parfois inattendus.

Un clan !

Les couples Soignes/Zoniën, Soignies/Zinnik et Senne/Zenne sont proches les uns des autres : Soignies est arrosée par la Senne et — quand « Bruxelles brusselait » — les chiots « juste bons à être jetés à la Senne » étaient appelés zinnekes. Première forme connue du nom de la forêt qui atteignait alors la rivière — vers l’an mil — Sonia serait la forme initiale de celui de la Senne. Célibataires unilingues, la Samme, Zuun et Zemst font appartiennent aussi au clan : la forme initiale de Zuun est Sone/Zona (cf Sonia/Zoniën). Virginal-Samme est sur la Sennette, mais Seneffe sur la Samme et Zemst sur la Senne ! Bref, ces toponymes plus ou moins interchangeables dans le passé doivent avoir un ancêtre commun, perdu au fil des mutations linguistiques.

Vlaams n’est pas français

Au 16e siècle apparaissent chaussée de Waterloo — alors en forêt d’Ixelles à Waterloo — des hameaux souvent appelés Hut(te) (cabane) par les habitants du coin. Inutile de chercher un lien avec le nom français des deux derniers hameaux. Espinette n’est pas la traduction de Hut(te), c’est un toponyme  fréquent en Wallonie, donc utilisé par les Brabançons wallons venant à Bruxelles par le « Walsche wech » : de la route, ils ne voient guère les cabanes, mais plutôt les haies qui les entourent, des haies de buissons épineux pour dissuader la faune forestière de saccager les potagers des habitants : des espinettes quoi !

De même, Notre-Dame au Bois ne traduit pas Jezus-Eik. Jadis en pleine forêt, un chêne aux branches tordues inquiète les passants : le diable doit s’y embusquer ! L’un d’eux y place un crucifix pour le chasser et le Duyvels-Eyck devient le Jezus-Eik. Dédiée à la Vierge, une chapelle bâtie en 1642 à la suite d’un vœu attire des pélerins bruxellois de la haute société. Souvent francophones, ceux-ci prennent l’habitude d’appeler le lieu Notre-Dame au bois (de Soignes) car le nom ‘chêne de Jésus’ ne coïncide plus avec l’image qu’ils en ont.

 

Autel de l' église de Notre-Dame au Bois:

dans sa base, une fenêtre permet de voir ce qu'il reste du chêne de Jésus (Jezus-Eik)

 

 

Autre Notre-Dame : Bonne Odeur. La version néerlandaise est hésitante : le long de la drève de Bonne-Odeur à Notre-Dame au Bois, on lit sur la plaque de gauche (côté bruxellois) Willerieken, et quasi en face (Overijse) Welriekende pour désigner le même lieu dans la même langue… ! L’origine du nom s’étant perdue — Valeriacus, domaine agricole appartenant à un Valerius — on a imaginé que des ouvriers construisant la chapelle proche ont senti des odeurs suaves témoignant de la présence de la sainte Vierge. D’où la version française du toponyme.

Une frontière ou une passoire ?

Ce ne sont là qu’échantillons d’une toponymie où français et néerlandais s’interpénètrent inextricablement et anciennement partout : la caricature d’une frontière linguistique linéaire séparant nettement — depuis toujours et définitivement — des populations à jamais inconciliables n’y résiste pas !