Un magasin de cannes ou la brousse?

Soignes, la plus belle hêtraie d’Europe ? Âpre débat vers 1975. Ce n’est pas le premier : dès la fin du 18e siècle, l’aménagement de la forêt suscite une polémique qui reprend vigueur avec un autre enjeu autour de 1900. Ce n’est pas le dernier non plus, mais à présent il est lié au réchauffement climatique.

 La forêt pompe à fric

 Jusqu’au 18e siècle, la forêt se régénère par semis naturel. D’où une végétation très variée, mêlant le hêtre à d’autres essences. Victime au 17e siècle de coupes massives pour résoudre les déboires financiers des souverains et les dévastations des armées en guerre sur notre sol entre 1660 et 1715, Soignes doit être repeuplée d’urgence.

 Dès 1706, on imagine des systèmes rompant avec le « à la va comme je pousse » antérieur. Le lieutenant forestier de l’Escaille préfère ne compléter le semis naturel par des plantations que là où il est trop lent. Mais il doit céder en 1788 devant l’architecte de jardin Zinner, qui applique des coupes à blanc suivies de replantations systématiques — surtout de hêtre — réputé pour sa qualité et le volume de bois qu’il procure : priorité à la rentabilité. C’est de là que naît la hêtraie cathédrale.

 La forêt œuvre d’art

 

Peuplement équienne (vers 1905), un 'magasin de cannes' selon René Stevens

 

 

Avant d’atteindre cette majesté, les hêtres filent en hauteur pendant un siècle, un vrai « magasin de cannes » selon le peintre René Stevens ! Prenant la tête de la contestation du système de Zinner par des artistes et autres esthètes autour de 1900, celui-ci crée en 1909 la Ligue des Amis de la Forêt de Soignes qui obtient la création d’un « canton pittoresque » offrant  des paysages plus variés.

 La sylviculture visant à la rentabilité doit donc composer avec la volonté des promeneurs esthètes de plus en plus nombreux en forêt depuis les années 1850.

 La forêt écologique

 La controverse citée en tête de cet article porte sur la nécessité de concilier la gestion de la forêt avec les besoins du public qui la fréquente et avec une diversification des essences permettant une plus grande biodiversité.

Depuis la régionalisation des forêts (1983), les trois administrations qui gèrent Soignes en ont d’autant plus tenu compte qu’elles doivent faire face au réchauffement climatique dont la réalité ne fait plus aucun doute : le hêtre et le chêne pédonculé — dominants en Soignes — peuvent-ils y résister ? La volonté des forestiers est dès lors d’accélérer la diversification, mais une partie du public veut le maintien au moins partiel de la hêtraie cathédrale, en négligeant peut-être la possibilité pratique de son maintien.

 Quelle forêt ?

 Après avoir géré Soignes souverainement, les forestiers sont depuis un siècle confrontés aux positions divergentes du public, partagé entre fidèles de la cathédrale et partisans de la biodiversité, tout cela au milieu des inconnues du réchauffement climatique. Du p(a)in sur la planche…!